Souvenirs d’enfance en pays Thuni

Arsène Kambire est un Lobi originaire de Kampti.

Sa mère était de l’ethnie Thuni dont les villages sont limitrophes de Kampti.
Cette ethnie se réduit comme une peau de chagrin, sa mémoire est très peu connue.
Arsène accepté de nous livrer quelques souvenirs d’enfances du début des années soixante, il avait alors 12 ans.

J’avais un oncle qui s’appelait Kambire Harfaté. Il habitait un village appelé Logolona, situé à 12 km de Kampti.
Tous les mardis, il venait au marché de Kampti pour y vendre son tabac. Il parcourait les 24 km (aller-retour) à pied car il ne possédait pas de vélo et ne savait d’ailleurs pas en faire. Il marchait sans chaussures, avec une canne métallique toujours accrochée à son cou, comme un guide mystique.

Après la vente de son tabac (qui se vendait bien car très prisé), il revenait s’asseoir chez nous à la maison et c’est là qu’il buvait son dolo – la bière de mil – dont ma maman – sa soeur – avait le secret de la préparation.
C’est à ces moments-là qu’il nous faisait des contes et nous racontait des histoires qui étaient véridiques.
Un jour, après nous avoir raconté comment les Lobi se fléchaient, il nous a raconté ses mésaventures du mardi passé.
Ce mardi donc, après nous avoir raconté les contes et mangé ; il a quitté Kampti la nuit pour Logolona. Selon lui, la nuit, il ne marche pas : sa canne se transforme en char de combat et le transporte jusqu’à son domicile. Mais ce mardi-là, il avait envie de faire ses besoins et décida de se soulager dans la nature. Une fois ses besoins faits, il s’est rendu compte que des sorciers voulaient lui ravir sa canne. Il s’est défendu mais les sorciers ont réussi à lui prendre sa canne.
Le lendemain de très bonne heure, il a consulté ses fétiches qui lui ont indiqué où se trouvait sa canne avec pour recommandation de ne pas la récupérer de suite. Il est venu rapidement à Kampti, est allé directement vérifier la présence de sa canne au lieu indiqué, accrochée sur la branche d’un manguier. C’est à ce moment qu’il est venu chez nous à la maison, rendre compte à sa soeur et à son beau-frère (mes parents). Il est allé ensuite leur montrer la canne en leur disant : ” cette canne doit accomplir sa mission avant de me rejoindre chez moi ; le jour où vous ne trouverez plus cette canne ici, cela voudra dire qu’elle a fini sa mission et m’a rejoint.
Selon Harfaté, cette canne qui a disparu de la branche du manguier où elle était accrochée, a tué trois personnes, soit deux hommes et une femme, avant de rejoindre son propriétaire.

Cette histoire est restée dans ma tête comme un rêve, elle me donne encre des frissons quand j’y pense. En réalité, les Thuna sont une ethnie très conservatrice et développent des pouvoirs surnaturels. Il faut rester un moment avec eux pour s’en rendre compte.

L’autre histoire ; c’est la guerre entre différents villages.
Lui même était petit et n’y connaissait pas grand chose. Cette guerre se menait avec des flèches empoisonnées. Les enfants et les femmes étaient regroupés dans les maisons tandis que les hommes menaient le combat.
Certains hommes étaient désignés pour garder le village. Certaines femmes, les plus courageuses, se mettaient derrière le camp de leur mari et ramassaient les flèches perdues des ennemis pour les remettre à leur mari afin que ceux-ci ne soient jamais en manque de flèches.
De son carquois, il m’a montré les catégories de flèches, qui ne comportent pas le même poison pour chaque. Certaines tuent rapidement, d’autres lentement, d’autres encore comment par te pourrir petit à petit jusqu’à ta mort.
Il existe des antidotes pour chaque poison et pour chaque clan. En effleurant la flèche qui t’a atteint avec la langue, les spécialistes arrivent à savoir quel antidote il te faut pour te sauver de la mort, mais cela ne fonctionne qu’à 50 ou 60%.
Un guerrier qui prend une flèche dans son dos n’est jamais soigné car on suppose qu’il fuyait. Aussi il n’est pas permis à un guerrier d’attaquer son adversaire par derrière, c’est de la lâcheté.
Le village qui tue un ennemi doit tout faire pour emmener le corps dans son village et le transformer en fétiche afin d’avoir d’avantage de victoires.
Vous comprenez que le village qui a perdu un guerrier ne va jamais accepter que l’ennemi lui enlève le corps : c’est là que le combat devient plus intense….. Imaginez la suite !

Un autre oncle habitait Tountana, village situé à la frontière de la Côte d’Ivoire. Il m’apprenait le Thouni, la lanque de ma maman.
Bufanouo (prénom de cet oncle) tenait à ce que je parle le Thouni. J’avais commencer à balbutier la langue mais lorsque je suis allé au lycée à Ouagadougou, j’ai perdu le contact avec lui et le peu que j’avais appris s’en est allé. Aujourd’hui, je me rappelle de khina, qui veut dire homme, yira qui veut dire femme, noflanga qui veut dire sel…. Mais je ne peux pas formuler une phrase.
Je suis allé rendre visite à Bufanouo en 1984 à Tountana.
Je l’ai trouvé très vieux et d’ailleurs il cultivait en restant assis. Quand je lui ai rappelé qui j’étais, il voulait me retenir 24 heures mais le vieux qui m’accompagnait avait des urgences à Galgouli et nous avons dû repartir. C’est avec joie qu’il m’a offert un gros coq en me demandant de revenir le voir incessamment…. Ce que je n’ai pu faire jusqu’à son décès.

En allant voir cet oncle, nous nous sommes arrêtés dans un petit marché à environ 3 km de chez lui pour demander le chemin qui mène chez lui. Nous avons remarqué une femme qui était à quelques mètres de nous, charger son panier sur sa tête et partir. Nous sommes restés là environ 10 minutes, le temps de vider une calebasse de colo avant de continuer.

A notre arrivée chez Bufanouo, nous avons trouvé une femme qui ressemblait à celle que nous avons vue quitter le marché. Impossible ! Après information, il est ressorti que cette femme était bien celle que nous avions vue au marché. En fait elle avait pris un raccourci que seuls les résidents connaissent pour aller dire à Bufanouo qu’il y avait des étrangers au marché qui demandaient après lui.

N’est-ce pas extraordinaire de faire 3 000 mètres en moins de 10 minutes à pieds ? Si Bufanouo avait été un malfaiteur, il avait le temps de s’éclipser avant notre arrivée…