La conception dagara de la foudre

Avant de découvrir la conception dagara de la foudre, intéressons-nous à son origine et précisons certains termes.

L’ORIGINE DU SADAWERA

  • L’origine historique
    Nos informateurs oraux situent l’origine historique du Sadawèra au Ghana et précisément à Accra qu’ils appellent “Tew-Kor” (ancien pays). Cette hypothèse est digne de foi si l’on considère le Ghana comme berceau des Dagara que beaucoup de récits traditionnels et d’écrits historiques confirment.
  • L’origine ancestrale.
    La pratique du Sadawèra est fortement liée à l’héritage des grands parents dagara morts : les Ancêtres. Ceux-ci furent les premiers à l’expérimenter et à l’adopter définitivement. Sa pratique a été vivement recommandée par eux qui auraient intimé l’ordre à leurs descendants de la perpétuer d’âge en âge : Sãa-kum bom’u.
  • L’origine divine
    La tradition dagara est unanime sur l’origine divine du Sadawèra “Sadawèra yinNaanmin zie” (le Sadawèra vient de Dieu). En effet, le Sadawèra est la représentation matériel de l’Esprit (Tiib), de la pluie (Saa) auquel Dieu a confié la gestion des choses invisibles (saazu bome). C’est Dieu lui-même qui aurait transmis la manière et le mode de la pratique qui vont être expliqué ci-dessous.

PRECISION TERMINOLOGIQUE

Le Saa ou Esprit de la pluie, de la foudre
– “Saa est l’Esp^rit qui concentre en lui toutes les forces d’en-haut. Il est vénéré et invoqué à plusieurs titres : d’abord pour son pouvoir de fécondation de la terre sous forme de pluie (eau, humidité…) ” (Gbãane).
– en outre “Saa peut donner la mort de la façon fulgurante dont on voit opérer la foudre … A ce titre, il est invoqué comme le justicier dont le verdict est sans appel.” Deux fétiches symbolisent ces deux cas.

Les fétiches du Saa
– le Sadow (canari rempli d’eau) symbolise la puissance du Saa dans le premier cas. Celui qui le détient s’appelle Sadow Sob (propriétaire du Saa). Traditionnellement les familles Kusièlè, Békuonè, Kpawnyawnè en sont les détentrices. A côté de celles-ci existent les Saa biir (enfants de pluie) qui sont autorisés à plaisanter avec la pluie sans aucun risque de se faire foudroyer en cas de pluie : ce sont les Kpièlè et les Mètuolè avec leurs neveux.
Le Sadawèra est le symbole qui concrétise le pouvoir redoutable du Saa dans le second cas. “C’est un pieu fiché en terre aux abords immédiats d’une résidence ou d’un objet qu’on met sous la garde et la protection de l’Esprit de la voûte céleste”.

DOCTRINE DAGARA DE LA FOUDRE (SAA)

Le Saa est une puissance divine
Venu de Dieu, l’Esprit Saa manifeste la puissance divine. En effet, lorsqu’il pleut, c’est Dieu lui-même qui d’en haut, fait descendre sur terre ses bénédictions pour les besoins de l’homme agriculteur, de l’animal et du végétal. C’est la manifestation de la providence divine à l’égard de toutes les créatures. Mais lorsque celles-ci mécontentent Dieu, par leurs fautes (sawna), il les gronde à travers le phénomène du tonnerre. Plus la colère de Dieu est grande, plus le tonnerre augmente d’intensité. Enfin, lorsque le courroux de Dieu atteint son sommet, à cause des fautes graves des hommes, il les tue de façon fulgurante par la foudre . (La tradition dagara atteste que la foudre ne tue jamais au hasard. C’est pourquoi ce meurtre est souvent accompagné de signes).
Certains parlent alors de la foudre comme étant “le fusil de Dieu” (Naanmin mal fal). Elle est l’envoyée de Dieu (Naanmin ni-tona) descendu sur terre pour rétablir l’ordre et la justice en tuant les coupables avec preuve à l’appui (Kusièlè Somé Guy, sacrificateur à Béné, 2000).
Le verdict de Dieu qui se manifeste à travers la foudre est toujours vrai. Il faut absolument y croire et surtout chercher à découvrir le sens et la portée de ce verdict car la foudre ouvre la liste de nombreuses autres calamités qui planent inévitablement sur l’individu ou la famille, calamités dont la réalisation est imminente si on ne répare pas vite et bien la faute déjà commise.

Le Sadawèra est un piège social
Tout compte fait, le Sadawèra est un piège social (bèra nu) qu’utilise le Dagara pour se proteger et protéger ses biens personnels et familiaux. A ce titre le Sadawèra est à classer parmi les objets magiques dont les résultats sont souvent concluants. Aucun Dagara traditionnel ne doute de l’efficacité de ce piège social parce qu’il a déjà fait ses preuves. Son influence sur la psychologie sociale est extrêmement grande à tel point qu’un Dagara même chrétien serait prêt à subir toutes sortes de punitions redoutables plutôt qu’à toucher un objet en lien avec le Sadawèra. Le Dagara fuit le Sadawèra comme la peste tuant par ses actes que par ses paroles. Vraiment, on ne badine pas avec le Sadawèra (au cours des enquêtes orales, peu de gens osent parler franchement du Sadawèra).

Le mode de transmission
Le Sadawèra est héréditaire, et il se transmet de père à fils. Dans ce contexte,certaines familles ont une réputation légendaire dans la pratique du Sadawèra : ce sont les Zagè et les Tierré. Puisqu’il s’agit d’un fétiche, n’importe qui peut l’installer d’autant plus qu’il ne s’achète pas !

Ainsi l’école de la tradition dagara à laquelle nous sommes allés pour comprendre le phénomène de la foudre (Saa) nous a fait découvrir sa cosmologie : un monde unitaire en deux faces – visible et invisible – créé par Naanmin qui a confié sa gestion aux Tibè (Esprits) -> sa religion : un monothéisme incontestable teinté d’animisme et du fétichisme et sa conception du Saa : une puissance divine qui en fait un véritable pièce social.

Tiré de : “Phénoménologie de la foudre (SAA) et Foi chrétienne en contexte dagara (approche théologico-pastorale)“.
Mémoire en Théologie (sixième année)
Kvsè Blè Somda Yirsob Aloïs
Ouagadougou, mai 2001
Courriel : yirsomda@yahoo.fr
Avec son aimable autorisation
Crédit logo : wikimedia – Alinak)