Conception de la maladie et de la souffrance

Pour une culture de la vie ou la médecine traditionnelle dans le Passore
Ethnie moaga

La maladie “bãaga” en moore, fait partie de l’expérience quotidienne. Elle est une atteinte à l’intégrité humaine et à l’ordre social. Le milieu appréhende son apparition comme une crise.
Les devins, les charlatans, les marabouts et autres thérapeutes ont la charge de la repousser. Quand ces personnes n’arrivent pas à vaincre le mal, la population se tourne vers les dispensaires. Malheureusement ” les prix des remèdes sont un obstacle important à l’accès des pauvres à la santé.” (Mbaya Kanwenda, coordonnateur principal, “Rapport sur le développement humain durable au Burkina Faso”, 1998, p.131).

Le recours aux devins et aux “Kinkir-bagba” (devins propre du milieu) est dû aux multiples acceptions de la maladie. Ainsi on distingue les maladies naturelles “Wend yir bãase” (“la maladie de la maison de Dieu”, c’est à dire liée à l’alimentation, le climat, la croissance de l’homme), et les maladies à mystère “bã-soodi” (maladies “cachées” qui nécessitent des recherchent).

Les “bã-soodi” comportent plusieurs catégories de maux de seule la divination peut préciser en vue d’éventuels soins. Les causes des maladies à mystère sont diverses :
ainsi le “bã-radem” (“maladies achetées”, c’est çà dire causées par le malade lui-même souvent en bravant des interdits) résulte de la punition des ancêtres ou des forces mythiques.
Le “bã-rikdem” (“maladies ramassées”, c’est à dire orientées à l’origine vers une autre personnes) viendrait des sorts ou des maléfices.

Le “bã-mandem” (“maladies faites”, maladies provoquées sur des personnes que l’on veut supprimer), est d’une gravité extrême. De type maléfique, il véhicule une conception superstitieuse de la maladie. Sa cause se cherche dans la sorcellerie, la méchanceté des assoiffés de vengeance. Devant ce mal, les personnes avisées disent : “Pa logtor-yir bãag ye” (littéralement : “ce n’est pas une maladie de dispensaire”). Les maîtres de la médecine traditionnelle s’assureront de ces agents avant d’affronter le mal.

Mais quelle conception fait-on de la souffrance au Passoré ?

La souffrance est évidente dans le quotidien. Les deuils, les calamités, les maladies, la misère en sont l’expression. Elle connait un rejet car elle aliène l’homme et lui enlève son bonheur. Cependant, il faut distinguer plus niveaux de souffrance.
Le terme “Naongo ou namsgo” (souffrance) prend en compte la souffrance physique et morale. Tous les aspects de la souffrance déprécient la vie et personne ne veut kles subir. Certaines personnes demandent la mort ou la provoquent comme solution à leurs souffrances.

Cependant le milieu ne se résigne pas devant elle. Il garde un certain optimisme en approchant le monde de la souffrance : “Namsd pôsdame” (le souffrant survit) ou “Ned pa bite n ka gãnd ye” (personne ne croît sans s’aliter). De plus, devant une réussite à prix d’efforts, l’expression : “A naonga ka pa zaalem ye” (sa souffrance n’a pas été vaine) sort des lèvres de l’entourage. Toutefois : maladie et souffrance sont des forces négatives portant atteintes à la vie.

LES THERAPEUTES FACE AUX FORCES DE MORT

Les thérapeutes ont des procédés divers pour déceler les causes des maladies.
Les “bã-soodi” surtout, demandent un diagnostic sérieux avant les soins. Il arrive qu’un thérapeute envoie son patient chez un devin pour qu’il s’assure des causes de son mal avant le traitement.

Les “Kinkir-bagba” interrogent les “kinkirsi” et livrent leur réponse dans l’interprétation des cauris qu’ils jettent à plusieurs reprises accompagnés de son du “tuko” (petite calebasse avec un manche).

Pour cette pratique, le patient commence à décrire son mal à la demande du “Kinkir-bagba“. Ce dernier interrompt le malade après l’avoir écoute et interroge les “Kinkirsi” en jetant les cauris. Après ou quatre jets, suivant le symbolisme des chiffres respectivement pour l’homme et pour la femme, il donne les causes profondes de la maladie. Cette méthode rassure beaucoup les patients car la communication est très capitale dans la relation entre malade et soignant. Toutefois, cette pratique est un facteur de divisions car les “Kinkir-bagba” indiquent souvent les proches comme agents des maux. La vérité de ce diagnostic est relative et relève du domaine de la foi.
Certains devis jouent au “tuko” et charmés par la mélodie, des “kinkirsi” entrent en transe pour saisir les racines des maux de leur client présent ou absent.

Plusieurs thérapeutes utilisent le dialogue simple et le constat du mal dans le diagnostic. Le caractère particulier dans le Passoré de cette méthode est la manducation de la connaissance. C’est un principe basé sur l’art de pénétrer les secrets du malade. Après le discours du malade, le thérapeute reprend de façon cohérente la situation du malade en maître du savoir.
Ce diagnostic inspire confiance car il explore les dimensions corporelles, intellectuelles, émotives, sociales et spirituelles du malade. Certains marabouts consultent les djinns avant de diagnostiquer les maladies. Enfin, les rebouteux distinguent les différents accidents des os et des articulations par le toucher. La qualité de leur diagnostic est reconnue par tous. (…)

Notre milieu a toujours fait appel à ses propres médecins tantôt généralistes tantôt spécialistes pour ses soins. La plupart de ces médecins excellent dans la manducation du pouvoir de guérir. L’abondance des paroles, les nombreuses invocations, les incantations et les imprécations dans les soins attestent cela. Le traitement des maladies engage et le soignant et le malade et sa famille toute entière. Les rebouteux de Song Taaba parcourent des kilomètres pour donner leur service à des malades dans leurs familles.
Pour les maladies ordinaires, les thérapeutes indiquent des plantes curatives et leur usage aux malades. Ils les orientent vers les propriétaires de remèdes “Tiim-damba“, détenteurs du “Ti-buli“, du “Ti-regdem“, du “Ti-yãkdem” (remède à cueillir). Ces personnes ont des remèdes efficaces, maîtrisent leur dosage et leur thérapeutique. (…)

Le traitement des maladies à mystère revient aux thérapeutes allés aux forces invisibles. Ainsi les “Kinkir-bagba” exorcisent les possédés et les obsédés au cours de leur séance de soins faite de grandes cérémonies. Nous avons été témoin d’un traitement de ce genre dans le Passoré. La cérémonie a commencé par une ambiance de liesse. Le “Kinkir-bagba” débuta son ministère tard dans la nuit entouré de ses collègues invités pour la circonstance. Il accomplit son rite de “Sikri” (délivrance de la possession) dans la case des “Kinkirsi“. Le malade endossa les dépenses de la fête et du traitement avec joie car la santé n’a pas de prix.

Les marabouts sont reconnus pour experts dans les maladies causées par les attaques des mauvais djinns. Avec les charlatans, ils forment le cercle de ceux qui utilisent souvent magie et religion, imprécations et gestes dans les soins. Pour la population, le vrai thérapeute “c’est celui qui aime soigner et se préoccupe de la santé de ses clients, les suit, leur demande très peu d’argent, une obole symbolique.”
Tout malade doit s’acquitter du “Keore” (obole symbolique à pour éviter une rechute dans sa maladie.

 

Tiré de “Pour une culture de la vie, ou la médecine traditionnelle dans le Passore”
Abbé Jean-Marie Ouedraogo
Sous la direction de l’abbé Jacob Yoda
Mémloire en théologie, sixième année
Grand séminaire de Koumi, Burkina Faso, juin 2001

Avec son aimable autorisation
Tel (00 226) 70 76 94 70 – 76 47 50 26
(Crédit photos : A. Chalamon)